Le dix-septième sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du G20, qui s’est tenu les 15 et 16 novembre (2022) à Bali, en Indonésie est à bien des égards un événement important. La politique internationale se trouve à un point d’inflexion et cette transition ne manquera pas d’affecter les institutions héritées d’un passé qui s’éloigne à jamais.
Ce dernier G20, cependant, peut faire exception en jetant un pont entre le passé, le présent et le futur. Les nouvelles de Bali nous laissent un sentiment mitigé d’espoir et de désespoir.
Le G20 a été conçu dans le contexte de la crise financière de 2007. Il s’agissait essentiellement d’une tentative occidentale de redorer le blason du G7 en y intégrant les puissances émergentes, et notamment la Chine, qui jusque là en étaient absentes en insufflant ainsi un petit air de modernité aux discours globaux.
L’harmonie en était le maître mot. On se demande aujourd’hui dans quelle mesure le sommet de Bali a répondu à cette attente. Malheureusement, le G7 a délibérément introduit des questions sans rapport avec le sujet débattu et son alter ego, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), a effectué sa première sortie dans la région Asie-Pacifique. Ce dernier point doit sans doute être considéré comme un événement déterminant du sommet de Bali.
Mentalité de blocs
Ce qui s’y est passé est une négation de l’esprit du G20. Si le G7 refuse de se départir de sa logique de bloc, la cohésion du G20 en sera affectée. On aurait fort bien pu procéder à la déclaration conjointe G7-OTAN1 depuis Bruxelles, Londres ou Washington. Alors pourquoi Bali ?
Xi Jinping, le président chinois, n’a pas manqué de déclarer, dans un discours rédigé lors du sommet des chefs d’entreprise de l’APEC à Bangkok le 17 novembre, que «l’Asie-Pacifique ne sera l’arrière-cour de personne et ne deviendra pas le théâtre d’une compétition entre grandes puissances. Toute tentative de mener une nouvelle guerre froide se heurtera à la résistance des peuples et des temps.»
Xi a souligné que «les tensions géopolitiques et l’évolution de la dynamique économique ont exercé un impact négatif sur le contexte de développement et la structure de coopération de la région Asie-Pacifique.» Il a également rappelé que la région Asie-Pacifique était autrefois le théâtre de rivalités entre grandes puissances et qu’elle avait connu des conflits et des guerres. «L’histoire nous dit que la confrontation en bloc ne peut résoudre aucun problème et que le parti pris ne peut que conduire au désastre.»
L’ADN occidental reste inchangé
On a enfreint la règle d’or selon laquelle les questions de sécurité ne relèvent pas de la compétence du G20.
Lors du sommet du G20, les pays occidentaux ont exigé des autres participants au sommet de Bali une contrepartie: c’est ça ou rien. A moins de calmer l’intransigeance de l’Occident sur la question de l’Ukraine, la déclaration de Bali n’avait pas lieu d’être, si bien que la Russie a cédé.
Ce drame sordide a montré que l’ADN du monde occidental n’a pas bougé et que l’intimidation reste son cheval de bataille. Mais, paradoxalement, au bout du compte, ce qui transparaît, c’est que la déclaration de Bali n’a pas réussi à condamner la Russie sur la question de l’Ukraine. Des pays comme l’Arabie saoudite et la Turquie donnent des raisons d’espérer que le G20 peut se régénérer. Ces pays n’ont jamais été tout à fait des colonies occidentales. Ils se consacrent à la multipolarité, qui finira par obliger l’Occident à admettre que l’unilatéralisme et l’hégémonie ne sont pas tenables.
Tournant majeur
Ce tournant majeur a donné une impulsion considérable à la rencontre entre le président américain Joe Biden et le président chinois Xi Jinping à Bali. À la demande de Washington, cette rencontre a eu lieu en marge du sommet du G20, et Pékin y a consenti.
Ce qui est frappant dans cette rencontre, c’est que Xi apparaissait sur la scène mondiale après un congrès du parti extrêmement réussi. Le retentissement de sa voix était indéniable.
Xi a souligné que les Etats-Unis avaient fait fausse route lorsqu’il a déclaré à Biden: «Un homme d’Etat doit réfléchir et savoir où diriger son pays. Il doit également réfléchir et savoir comment s’entendre avec les autres pays et le reste du monde.»
Les communiqués de la Maison Blanche laissaient entendre que Biden était enclin à la conciliation. Les Etats-Unis doivent relever un défi de taille pour isoler la Chine. En l’état actuel des choses, les circonstances jouent globalement à l’avantage de la Chine.
La majorité a refusé de s’aligner derrière l’Ukraine
La majeure partie des différents pays ont refusé de prendre parti sur l’Ukraine. C’est ce que reflète amplement la position chinoise.
Xi a déclaré à Biden que la Chine était «très préoccupée» par la situation actuelle en Ukraine et qu’elle soutenait et attendait avec impatience la reprise des pourparlers de paix entre la Russie et la Chine.
Cela dit, Xi a également exprimé l’espoir que les Etats-Unis, l’OTAN et l’UE «mèneront des entretiens approfondis» avec la Russie.
Les lignes de fracture apparues à Bali risquent de se reformer d’ici à ce que le G20 tienne son 18e sommet en Inde l’année prochaine. Nous avons toutes les raisons de faire preuve d’un prudent optimisme.
Tout d’abord, il est improbable que l’Europe se rallie à la stratégie américaine consistant à utiliser des sanctions contre la Chine. Ils ne peuvent pas se permettre de se désolidariser de la Chine, qui est la plus grande nation commerciale du monde et le principal moteur de croissance de l’économie mondiale.
Ensuite, tout comme les appels à la guerre en Ukraine ont mobilisé l’Europe derrière les Etats-Unis, une profonde remise en question est en cours. L’engagement de l’Europe en faveur de l’autonomie stratégique fait l’objet de nombreuses discussions. La récente visite du chancelier allemand Olaf Scholz en Chine va dans ce sens. Il est inévitable que l’Europe prenne ses distances par rapport aux visées américaines datant de la guerre froide. Ce processus est inexorable dans un monde où les Etats-Unis ne sont guère enclins à consacrer du temps, de l’argent ou des efforts à leurs alliés européens.
Le fait est qu’à bien des égards, la capacité de l’Amérique à assurer un leadership économique mondial efficace a irrémédiablement décliné, puisqu’elle a largement perdu sa position dominante de première économie mondiale. En outre, les Etats-Unis ne sont plus désireux ni même susceptibles d’investir massivement pour assumer la responsabilité de leur leadership.
Pour dire les choses simplement, ils n’ont encore rien à proposer qui puisse rivaliser avec l’initiative «Belt and Road» de la Chine. Cette situation aurait dû avoir un effet dissuasif et entraîner un changement d’état d’esprit en faveur d’actions politiques en coopération, mais l’élite américaine est restée bloquée sur ses acquis.
La véritable tâche du G20 dans le monde devenu multipolaire
Fondamentalement, dans la situation mondiale actuelle, il est donc devenu beaucoup plus difficile de mettre en pratique le multilatéralisme.
Néanmoins, le G20 est le seul moyen de réunir le G7 et les pays en développement qui ont tout à gagner d’un ordre mondial démocratisé. Le système des alliances occidentales est ancré dans le passé. Cette mentalité de type bloc offre bien peu d’attraits aux pays en développement. La tendance de la Turquie, de l’Arabie saoudite et de l’Indonésie à se rapprocher des BRICS envoie un message fort: la stratégie occidentale de conception du G20, qui consistait à créer un cercle d’Etats subalternes autour du G7, n’a plus lieu d’être.
Les divergences qui se sont manifestées à Bali ont montré que les Etats-Unis s’accrochent toujours à leurs droits et sont prêts à jouer les trouble-fête. L’Inde a là une excellente occasion d’orienter le G20 dans une nouvelle direction. Mais cela exige de profonds changements de la part de l’Inde aussi – un renoncement à ses politiques étrangères centrées sur les Etats-Unis, associé à une vision clairvoyante et audacieuse pour forger une relation de coopération avec la Chine, en abandonnant les phobies du passé et en se débarrassant des récits unilatéraux, et, pour le moins, en évitant toute nouvelle dérive vers des politiques d’assistanat.
par M. K. Bhadrakumar
Source : indianpunchline.com du 18/11/2022
Traduction : Horizons et débats